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Tour d'Amérique latine
Dr Coca et Mister Cocaïne
par Florian Coat

Unique musée latinoaméricain consacré à la feuille de coca, le Musée de la Coca de La Paz (Bolivie) propose un voyage iniciatique des fibres de la coca au poussiéreux chlorydrate de cocaine. La ballade est instructive et lève le voile sur une réalité méconnue et souvent source de confusions (la coca est une drogue...). Reste que ce chef dŽoeuvre est désormais en péril. Si cette initiative est honnête et courageuse, elle est aussi privée et ne se maintient que grâce à la volonté de deux boliviens (le pshychiatre Jorge Hurtado et le sociologue Javier Castro) qui défendent une appréciation culturelle de la coca. En fin de mois , les deux passionés sont bien souvent obligés de mettre la main à la poche pour payer les frais de fonctionnement, que le prix de lŽentrée (un dollar) ne comble pas. Un site internet ( www.coca-museummagicplace.com) virtualise le musée. Messages dŽencouragements et dotations sont les bienvenus via le courrier électronique : hurtado@accand.bo .

Le Musée de la coca est pour sa part, situé en prolongation de la rue des Sorcières. Une rue au fort contenu culturel, qui remonte aux premières migrations urbaines. CŽest ici que sŽinstallèrent les femmes des Llameros (bergers de troupeuax de lamas) qui connaissaient les vertus et usages des plantes. Une fois installées à la Paz, elles les vendaient par exemple aux commerçants, venus commercialiser leurs produits agricoles à la ville. Ils achetaient des plantes quŽils offraient à la Pacha Mama pour quŽelle leur assure de bons résultats. Un souhait partagé par les fondateurs du Musée.

"Quand le Conquistador blanc aura la feuille de Coca entre les mains il trouvera seulement en elle venin pour son corps et folie pour son esprit" prophétise la légende de la Coca. Objet de tant de polémiques et de convoitises, la coca nŽest pas un psychotrope mais une plante vertueuse dont la culture sŽest maintenue durant des millénaires. Malgré la Conquête. Malgré un acharnement thérapeutique douteux visant à lŽéliminer. Partant du célèbre axiome cocalero (producteur de coca) "la feuille de coca nŽest pas une drogue", le Musée de la Coca de La Paz propose un voyage virtuel sur les chemins sinueux et accidentés de cette plante millénaire, indissociable de la culture bolivienne.

LŽinitiative du Musée de la Coca est étrangement privée, cŽest à dire non subventionnée par lŽEtat. Surprenant pour un pays qui, avec son voisin péruvien est lŽunique endroit au monde où la production et la commercialisation de la feuille de coca sont légales et jusquŽà un certain point controlées. Le marché légal de la coca de La Paz faisant foi.

Au départ de ce projet indépendant devenu réalité en 1997, Le Dr Jorge Hurtado, psychiatre spécialisé dans le traitement de lŽaddiction à la cocaine. En matière de défense de lŽexception culturelle végétale bolivienne, lŽhomme nŽen est pas à son premier fait dŽarme. En 1983, il propose lŽindustrialisation des produits dérivés de la coca. Ce nŽest que 5 ans plus tard que la loi autorisera leur industrialisation. AujourdŽhui de congrès en colloques médicaux le psychiatre expose son traitement de la dépendance à la cocaine : un suivi psychiatrique allié à la prise de pastilles de coca censées reproduire lŽorgasme chimique qui provoque lŽaccoutumance psychologique à la cocaïne. Convaincu du bien fondé de ses recherches, Jorge Hurtado ne cache pas pour autant son étonnement face à la civilisation moderne qui pour la première fois dans lŽhistoire de lŽHumanité "a interdit une maladie et lui a déclaré une guerre tout azimut". La traduction législative bolivienne de cette réalité est lŽarticle 61 de la loi 1008. Un médecin bolivien est ainsi tenu d’informer les autorités compétentes quŽil soigne un toxicomane.

Le musée ne fait pas pour autant état de lŽexpérience menée par le psychiatre. Tout comme il se refuse à endosser lŽhabit dŽun Quichotte défenseur de la coca, le Dr Hurtado préfère la lutte contre lŽignorance et lŽintolérance, au prosélytisme. Son cheval de bataille est une interrogation. Pourquoi une plante, pierre angulaire dŽune civilisation millénaire aux vertus médicinales et nutritionnelles scientifiquement prouvées, sera-t-elle convoitée et utilisée par lŽOccident, pour être ensuite diabolisée et menacée dŽextinction ? Ce parti pris et cet engagement éthique pour une certaine transparence se reflètent dans la partie du musée consacrée à la prévention. Considérant que la curiosité attisée par le secret est lŽun des chemins qui mènent aux drogues, le voile est donc levé sur la cocaine, sa fabrication et ses effets dévastateurs sur le consommateur.

Soucieux de soigner la schizophrénie qui ronge la coca et nŽen finit pas de la confondre à l’un de ses produits dérivés , la cocaïne, le Dr Hurtado souhaite mettre le circuit coca-cocaïne à lŽépreuve de la science : quŽelle soit médicale, historique, sociologique ou anthropologique. La thérapie ? Un musée pour pour systématiser les recherches et éradiquer le mélange des genres. En collaboration avec le sociologue Javier Castro, sŽensuit un lourd travail de compilation de textes, photos, produits... ayant trait à la coca et à la cocaïne. Le premier essai nŽest pas un coup de maître. LŽespace restreint est mal maîtrisé et le visiteur est asphyxié par un surplus d’informations et par un non moins réel manque de moyens financiers.

Deux ans plus tard et sous la houlette dŽAlexandre Chinon, jeune designer français, le Musée de la Coca prend un nouvel élan. Devient enfin lisible, tout en étant plus complet. 200 photos et autant de "légendes", des manequins illuminés et dŽauthentiques antiquités, ainsi que 17 panneaux dont certains à "double-face", (psych)analysent lŽincestueux couple coca-cocaine fruit dŽun mariage incestueux et arrangé entre ume mère naturelle et de ses enfants, chimique et moléculairement modifié.

La forme de communiquer est sciemment pédagogique et synthétique. Loin dŽêtre didactique cette illustration du circuit coca-cocaine permet lŽimmersion dans les eaux troubles du Grand Vert, un feuilleton aux grosses ficelles que lŽon affublerait dŽ un tragi-comique douteux sŽil nŽétait pas réel. La trame du dit feuilleton nŽa rien à envier aux télénovelas : Passion, violence, autodestruction et Coca Cola dŽun côté, tradition, excédent, défense et Coca de lŽautre, font à peine office de bande annonce. La production digne dŽun péplum se veut Hollywoodienne. Sur le plateau, chercheurs, médecins occidentaux ou autochtones, industriels, chimistes, politiques, banquiers, militaires, narcotraficants, cocainomen du Nord, paysans producteurs et (ou) consommateurs de coca du Sud, argent sale, billets verts lisent et ne jurent que par une seule feuille tout aussi verte, la coca métamorphosée ou non en poussière blanche.

Tout est ici question dŽinterprétation. Finalement le problème vient-t-il de lŽoffre (le paysan de pays "émergeants") ou de la demande (le cocainoman du premier monde) ? Le Musée donne quelques élements de réflexion en anglais, allemand et français mais se garde de répondre. Au visiteur de se faire son idée et le cas échéant de consulter le guide, en passe de devenir Yatiri.

Mais pour ne pas rater lŽimmersion par manque dŽoxygénation, rien de tel quŽun bonbon de coca gracieusement offert, pour remonter un à un les maillons de la chaîne coca-cocaine.

Elements complémentaires : Or blanc et billets verts.

La plante de coca est utilisée depuis environ 4500 ans et fait partie de la diète des populations de lŽEmpire Inca qui en controlait la production et la commercialisation. A la Conquête lŽusage de la plante est dŽabord condamnée par le premier Conseil Eclésiastique de Lima. Verdict : la coca est diabolique et est un obstacle à lŽévangélisation. Quelques années plus tard Philippe II dŽEspagne déclare la coca "indispensable pour le bien-être des Indiens.". En réalité la Couronne a compris que la coca permet de supporter les travaux difficiles en hautes altitudes. Elle seule permettra de maintenir le rendement des milliers dŽIndiens forcés à extraire lŽargent de la mine de la ville de Potosi. En 1630 le nerf du royaume dŽEspagne est aussi la plus grande du monde. Potosi compte alors quatre fois plus dŽhabitants quŽà Paris. La production et la commercialisation du " Talisman du Diable" est aux mains des Espagnols. La production de la coca est en plein boom et devient une valeur dŽéchange se substituant à lŽor. A lŽindépendance la Bolivie récupérera le contrôle de la production de coca.

En ce début de troisième millénaire, lŽ"Acullicu", acte de mâcher de la coca lors dŽactes sociaux ou pour aller travailler, est encore au coeur de la vie des populations andines. Element spirituel et religieux, la coca est ausii offerte à la Pacha Mama (Terre Mère) pour la remercier d`une bonne récolte. Lors du "Kintu" (messe andine) les "Yatiris" (sacerdotes aymaras) lisent lŽavenir entres ses fibres. La coca tient aussi une bonne place dans la pharmacopée traditionelle andine. Elle est par exemple administrée en maté (infusion) en cas de problèmes digestifs, ou en cataplasme pour soigner les fractures. Riches en vitamines, calciun, fer et phosphore, elle constitue également un refuge alimentaire pour des populations dont la diète est essentiellement composée de tubercules.

Si depuis des millénaires les populations andines mâchent la feuille de coca pour tromper la faim, résister au froid et supporter le travail et la vie en altitude, lŽhomme blanc sait depuis seulement un siècle environ en extraire la pâte basique qui une fois raffinée, sert à produire le chlorydrate de cocaïne. Le cours naturel de la coca est en effet modifiée en 1880, date à laquelle le chimiste allemand A. Niemman extrait le premier un des alcoïdes de la coca, la cocaine. LŽusage préconisé ? Anesthésiant occulaire et dentaire. NŽempëche, en 1884, Freud est officiellement le premier inhalateur de cocaïne. Depuis, lŽor blanc a pris un poids considérable dans lŽéconomie latinoméricaine et mondiale. Alan Garcia président du Pérou de 1985 à 1990 remarque que lŽindustrie de la drogue est "lŽunique transnationale performante dŽAmérique Latine". Chiffre dŽaffaire annuel "estimé" par lŽOEA (Organisation des Etats Américains) : 150 à 200 milliards de dollar. 33 fois le PNB bolivien ou lŽéquivalent de la dette extérieure brésilienne en 1996.

Le trafic de drogue demeure un problème global au continent américain. Tous les pays (Caraïbes inclues) sont des succursales dŽune multinationale dont la commercialisation est lŽunique activité centralisée . QuŽil sŽagisse de la culture de coca, de la production de pâte basique, du raffinage de cocaïne, de son acheminement, de sa commercialisation ou du blanchiment de ses profits. De sorte que le terme narco est accolé à chaque élément sociopolitique : narcodémocratie, narcodollar, narcoguérilla, narcopolitique, narcotrafic, narcocorruption, narcoingérance, narcoguerre,... Cette dernière est officiellement depuis 1987 et la conférence de Vienne qui réunit 130 pays, lŽobjet dŽune profonde polémique : quels moyens peuvent-ils être mis en oeuvre pour limiter l`expansion du trafic de drogue. ? Qui tenir pour responsable ? LŽoffre ou la demande ?


Au coeur de la discorde, les Etats Unis dŽAmérique. 5 % de la population mondiale et 16 millions dŽ"addicts" qui consomment 50 % de la cocaine produite mondialement (environ 300 tonnes). Montant annuel des dépenses 50 milliards de dollar. Malgré tout, lŽOncle Sam est persuadé que la lutte contre la narcotrafic repose sur une localisation des cultures illicites de coca et leur éradiquation, le repérage et la destruction des laboratoires clandestins de production de cocaïne, ainsi que le contrôle des routes dŽacheminement de la drogue. Tout ceci en territoire étranger et parfois sans lŽacoord des pays dans le collimateur de Washington. Ces mêmes pays sŽinsurgent quant à eux, contre lŽingérence dans leur politique intérieure et le refus étatsunien de "diminuer" sa propre consommation en soignant ses malades. Bolivie, Pérou et Colombie plaident en particulier pour une reconversion des cultures illicites de coca.

En Bolivie comme dans le reste du sous-continent, le développement du trafic de drogue coincide avec un boom de la consomation mondiale de cocaine et sŽinscrit sur fonds de crise économique généralisée. Au début des années 80, les prix des deux principaux produits dŽexportation boliviens, lŽétain et les hydrocarbures, sont en chute libre. En 1985, les prix de lŽétain nŽétant plus soutenus, la COMIBOL (entreprise minière bolivienne -nationalisée) se " restructure" et met à pied 23 000 travailleurs sur 25 000. Jamais prise en charge par lŽEtat, la reconversion de ses travailleurs premiers macheurs de feuille de coca, ne sera jamais que géographique. Presque condamnés à mourir de faim, les mineurs les plus jeunes deviennent producteurs de coca dans la zone amazonienne du Chaparé. Le phénomène sŽexplique par deux facteurs La demande de coca est forte et les "narcos" ont monté des réseaux (laboratoire, acheminement...) dans cette ímmense forêt tropicale. Jamais les autres produits agricoles ne généreront des revenus aussi élevés. Le revenu moyen dŽun cocaléro est estimé alors à 1200 dollars par an ( quatre fois le revenu moyen national). Un hectare de coca qui est récolté trois ou quatre fois par an, peut rapporter jusquŽau double dŽun hectare de cacao. Ou lŽéquivalent de la vente de 400 000 oranges.


A la fin des années 90, 90 % de la coca bolivienne presquŽentièrement dans le Chaparé est déclarée illicite.Pour influer la politique anti-drogue bolivienne, les Etas Unis disposent dŽune arme magique : la certification. Une sorte de prix dŽexcellence qui conditionne lŽaide bilatérale de Washington et qui récompense financièrement les pays ayant suivi les recommandations de lutte anti-drogue états-unniene. LŽessentiel de la lutte bolivienne se portent donc sur les 26 000 producteurs de coca du Chapare et lŽerradication de leurs "cocales". LŽabsence de cultures de substitutions viables et productives rend le climat social explosif. En 1998, les affrontements entre cocaléros refusant lŽéradiquation de leurs "cocales" et les forces armées boliviennes feront 18 victimes.

Depuis 1997 et photos satellites à lŽappui, 31 227 hectares de coca auraient été éradiqués. La possibilité dŽélaboration de cocaine aurait baissé à 70 tonnes métriques contre 240 en 1995. 7000 hectares resteraient à éradiquer dans le Chaparé et 2300 dans la zone de production des Yungas de La Paz où 12 000 hectares de coca sont autorisés par la loi. Ses résultats jugés positifs seront-ils accompagnés dŽun développement de cultures ou d`activités alternatives à la feuille de coca, condition sine qua non de la fin du narcotrafic ? Le mystère demeure entier dans le pays aux 5 frontières tellement perméables.

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