Sommaire
+ Certainement pas
+ Il parait que
+ In memoriam
+ Casse-moi, si tu peux
+ salauds de pauvres !
+ La mort d’un écrivain
+ C’est d’ennui que se ferment les yeux des lecteurs
+ Pause
+ "Quelque part, quelqu’un…"
+ La dernière soirée de la revue Perpendiculaire
+ Les instantanés amoureux de Mayumi
+ Dan Eldon ou la chute de l’ange de Mogadiscio
+ " Le jour se lève, ça vous apprendra "
+ Tazmamart : la honte du Maroc
+ A Manosque
+ " Sur ma route " de Carolyn Cassady
 
Dans les lettres que je reçois d’elle,
ce qui me touche le plus…
c’est le post-scriptum
 "
- Breton -
Dan Eldon ou la chute de l’ange de Mogadiscio

L’histoire de Dan Eldon, photographe rimbaldien, mort à 22 ans à Mogadiscio en Somalie, le 12 juillet 1993. Entretien également avec Eric Cabanis, l’un des rares rescapés et témoins de ce jour noir où périront trois photographes et un preneur de son.

Seuls les morts ont vu la fin de la guerre. "

Cette citation de Platon se trouve au générique de La chute du faucon noir, le film guerrier de Ridley Scott sur la débâcle des militaires américains en Somalie. Elle se trouvait également dans le journal de Dan Eldon qu’on a retrouvé après sa mort dans sa chambre d’hôtel à Mogadiscio. La mission ratée des Rangers, le sujet du film,  s’est déroulée le 3 octobre 1993. Quelques mois auparavant, les Américains avaient déjà tenté d’éliminer, sans succès, le tristement célèbre chef de guerre somalien, le général Aidid. Ce 12 juillet 1993, à 10 heures du matin, des hélicoptères américains en formation de combat envahissent le ciel de Mogadiscio. Ils vont bombarder pendant dix huit minutes une villa où est censé se trouver le général Aidid. L’attaque fera 73 victimes parmi les civils sans atteindre sa cible présumée.

 De la terrasse d’un hôtel voisin, des journalistes et photojournalistes assistent au bombardement. Parmi eux se trouve Dan Eldon. A 22 ans, il est l’un des plus jeunes photographes accrédités par l’agence de presse Reuters. Son sac à dos est prêt, il doit quitter Mogadiscio pour rejoindre Nairobi au Kenya, pays voisin de la Somalie. Hos Maina, un autre photojournaliste de Reuters qui est arrivé pour le remplacer est à ses côtés.  Les photographies de Dan Eldon sur la famine en Somalie durant l’été 1992 ont déjà fait le tour du monde et les couvertures de plusieurs magazines comme le Times et Newsweek.

Né à Londres en 1970, à l’âge de sept ans il quitte l’Angleterre pour le Kenya où son père Mike vient d’être nommé par sa société pour diriger le bureau de Nairobi. A quatorze ans, il fait de la figuration dans le film Out of Africa qui est tourné au Kenya. A la même époque, il commence son premier journal dans lequel il insère photographies, coupures de presse, dessins et annotations. Le début d’une œuvre artistique protéiforme qu’il poursuivra jusqu’à sa disparition prématurée. Si le jeune homme a la peau blanche son cœur est africain. Une femme de la tribu des Massaïs le prend en affection. On le baptise " Lesharo ", celui qui rit.  Une fois diplômé, à 18 ans, il partira quatre mois à New York pour travailler dans un magazine. Il photographie les sans-abris et des enfants de la rue. L’Afrique lui manque.

A son retour à Nairobi, il commence à travailler comme photographe pour les journaux locaux. Il achète une Land Rover avec des amis et organise une expédition à travers l’Afrique, " Safary as a Way of Life, the journey is the Destination… " écrit-il dans son journal. En 1989, peu de temps après la chute du mur, il se trouve à Berlin. De retour aux Etats-Unis, après avoir acheté une vieille Buick, il voyage de l’Iowa jusqu’en Californie où il poursuit sa scolarité. Avec ses amis étudiants, il réussit à réunir 17 000 dollars pour aider les réfugiés au Mozambique. Le groupe de jeunes gens part pour l’Afrique avec pour objectif de remettre l’argent au camp de réfugiés près du lac de Malawi. Après un long et périlleux voyage en Land Rover, l’équipée arrivera intacte à sa destination.

Tout en continuant de voyager (Japon et Maroc), il poursuit son travail photographique pour les journaux de Nairobi. La rumeur d’une famine en Somalie le pousse à partir pour la ville somalienne de Baidoa. Pour la première fois de sa vie, il est confronté à l’horreur. Ses photographies alerteront le monde sur cette catastrophe humanitaire. Le 5 juillet 1992, il découvre la ville de  Mogadiscio où il devient vite connu, les enfants de la rue le suivent et les habitants de la ville le surnomment "  le maire de Mogadiscio ". Il photographie la ville détruite par les affrontements entre les clans. L’une de ses photos - un adolescent torse nu, cigarette à la bouche, un fusil automatique entre les mains, devant la cathédrale de Mogadiscio en ruines - fait la couverture d’un magazine de Nairobi. L’agence Reuters l’embauche comme correspondant. Il effectue un voyage en Europe (Norvège et Angleterre) puis revient en Somalie pour assister au débarquement des Américains. Traversant une période de doutes, il part en vacances avec son père et sa sœur Amy. Ses photographies de Somalie paraissent dans la presse étrangère. Il publie également un livre de son travail photographique. Début juillet 1993, il retourne à Mogadiscio.

Le 12 juillet 1993, de la terrasse de l’hôtel Al Sahafi, Dan Eldon, peut voir la fumée noire qui s’élève des ruines de la maison bombardée par les hélicoptères Cobra américains. Des Somaliens arrivent à l’hôtel en jeep et invitent les journalistes présents à venir témoigner de l’attaque sous leur protection. Dan Eldon et Hos Maina prennent place dans des véhicules ainsi que Mohammed Shaffi (cameraman pour Reuters), Hansi Krauss (photographe de l’Associated Press) et Anthony Macharia (preneur de son pour Reuters). Quand le cortège de journalistes arrive sur place, un chaos indescriptible règne, une centaine de Somaliens entoure déjà les lieux du drame. Dan Eldon et les autres journalistes sautent de la jeep pour prendre des photos. Subitement, la foule en colère se retourne contre eux et commence à leur jeter des pierres. Les cinq hommes se séparent et partent en courant dans plusieurs directions pour échapper à la foule. Les autres voitures des journalistes font demi-tour précipitamment pour se mettre à l’abri. Des soldats tirent en l’air pour écarter la foule. On retrouvera plus tard dans la cour de la villa le corps déchiqueté de Dan Eldon ainsi que ceux des trois autres journalistes dans les rues adjacentes du quartier. Tous ont été lapidés à mort. Seul Mohammed Shaffi aura survécu miraculeusement au lynchage.

La semaine suivante au Kenya, les cendres de Dan Eldon sont dispersées dans le vent africain en territoire Massaï. Kathy Eldon trouvera dans le sac à dos de son fils le dernier volume de son journal. Avec les 17 autres volumes, immense puzzle intime de collages d’images, de dessins et de mots elle réalisera un livre merveilleux  pour raconter la vie de Dan Eldon qui aura été semblable à celle d’une étoile filante : brève et intense.

Jean-Luc Bitton


- Entretien-témoignage avec Eric Cabanis, photographe à l’AFP.
- The journey is the destination. The journals of Dan Eldon.
Kathy Eldon, Chronicle Books, 1997.
Dan Eldon, the art of life.
Jennifer New,  Chronicle Books, 2001.
www.chroniclebooks.com
- La vie et l’oeuvre de Dan Eldon : biographie, photos et témoignages.
http://www.daneldon.org/about/index.html

Haut de page
   

Informations et commentaires à infos@chroniques-nomades.net
Copyright 1997-2003 - Chroniques Nomades