Sommaire
+ Certainement pas
+ Il parait que
+ In memoriam
+ Casse-moi, si tu peux
+ salauds de pauvres !
+ La mort d’un écrivain
+ C’est d’ennui que se ferment les yeux des lecteurs
+ Pause
+ "Quelque part, quelqu’un…"
+ La dernière soirée de la revue Perpendiculaire
+ Les instantanés amoureux de Mayumi
+ Dan Eldon ou la chute de l’ange de Mogadiscio
+ " Le jour se lève, ça vous apprendra "
+ Tazmamart : la honte du Maroc
+ A Manosque
+ " Sur ma route " de Carolyn Cassady
 
Dans les lettres que je reçois d’elle,
ce qui me touche le plus…
c’est le post-scriptum
 "
- Breton -
Tazmamart : la honte du Maroc

Ses détracteurs n’arriveront pas à me convaincre, Pierre Bourdieu m’est sympathique. Déjà, il y a quelques années, alors que j’avais sollicité son parrainage pour un vague projet de mensuel autour du Web citoyen, il s’était donné la peine de me répondre personnellement, avec un intérêt sincère pour ledit projet et des mots encourageants pour mener à bien cette entreprise utopiste, qui n’a jamais vu le jour, mais m’a permis de reconsidérer mon jugement sur les mandarins universitaires. Et Bourdieu n’est pas et ne sera jamais un mandarin. "Il n’y a que les bourgeois, les riches qui ont quelque chose à cacher, les pauvres, eux, n’ont rien à cacher, à part à leurs patrons…" (P. Bourdieu dans "La sociologie est un sport de combat" film de Pierre Carles). Mon actuel livre de chevet me permet de faire une liaison facile (P.B. y est d’ailleurs cité) : Corps et âme, de Loïc Wacquant, sous-titré Carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur. L’auteur, universitaire reconnu, a quitté le cocon enseignant, pour s’inscrire dans un club de boxe d’un quartier du ghetto noir de Chicago. Pendant trois ans, Wacquant participera aux entraînements, enchaînant shadow-boxing (exercices devant le miroir), travail aux pads (coups dans des palettes en cuir), au sac de frappe et au speed bag (poire de vitesse) et sparring (assauts sur le ring). Bel exemple d’observation participante qui m’a donné l’envie de remettre les gants…Autre livre de chevet : Rimbaud à Aden, livre de Jean-Jacques Lefrère (qui vient de publier LA biographie de Rimbaud) et Jean-Hughes Berrou (photographe). Livre de photographies avec cette idée lumineuse de confronter les images d’Aden à l’époque du poète à celles d’aujourd’hui. Où l’on voit que la "maison Rimbaud" s’est transformée en Hôtel Rambow. Qui n’a pas rêvé de dire merde à tout le monde ? de tourner le dos à cette société où la brutalité et la médiocrité sont reines, pour partir faire du commerce d’épices et de pierres précieuses dans des déserts brûlants, loin de la laideur de ce monde. Qui n’a pas rêvé…

" Je n’ai jamais fait de mal à personne. Au contraire, je fais un peu de bien quand j’en trouve l’occasion, et c’est mon seul plaisir." (Lettre de Rimbaud d’Aden)

Le pire pour la fin. Un livre choc, brutal mais vital : Tazmamart, cellule 10 (Tarik Editions) de Ahmed Marzouki. Son auteur témoigne des atrocités qu’il a subies, lui est ses compagnons de détention, lors de ses dix-huit années d’emprisonnement au bagne concentrationnaire de Tazmamart au Maroc. Hassein II a offert ce voyage en enfer à tous ceux qui avaient participé (la plupart à leur corps défendant) aux deux tentatives de coup d’Etat de juillet 71 et août 72.

Extrait : "En entrant dans sa cellule, à la lueur fade de la lumière qui pénétrait par la porte entrouverte, nous découvrîmes un spectacle d’une grande cruauté, honteux pour le Maroc. Comment mon pays a-t-il pu réserver un tel supplice à l’un de ses enfants ? Comment certains de ses responsables ont-ils pu dans le secret se comporter comme les plus abominables des criminels ? Lghalou s’était transformé en un amas pourri de sang, de sueur, d’urine et de saletés. Son corps s’était rétréci d’une manière inimaginable et il ressemblait désormais à un gamin de huit ou neuf ans, affublé d’une barbe à moitié blanche qui pendait sur les os apparents de son thorax affreusement amaigri. Quand Ghalloul et moi lui avons enlevé ses vêtements, la chair est venue avec, laissant apparaître certains os."

Ahmed Marzouki est arrivé à Tazmamart en août 1973. La porte de sa cellule s’est ouverte en septembre 1991. Comme les autres rescapés de cet Auchwitz marocain, il vit aujourd’hui dans la précarité et l’indifférence, quand ses tortionnaires vivent dans la tranquillité. Comme lui, à la fin de son livre, je me pose la même question : ce pays, changera-t-il un jour ?

Jean-Luc Bitton

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