Sommaire
+ Certainement pas
+ Il parait que
+ In memoriam
+ Casse-moi, si tu peux
+ salauds de pauvres !
+ La mort d’un écrivain
+ C’est d’ennui que se ferment les yeux des lecteurs
+ Pause
+ "Quelque part, quelqu’un…"
+ La dernière soirée de la revue Perpendiculaire
+ Les instantanés amoureux de Mayumi
+ Dan Eldon ou la chute de l’ange de Mogadiscio
+ " Le jour se lève, ça vous apprendra "
+ Tazmamart : la honte du Maroc
+ A Manosque
+ " Sur ma route " de Carolyn Cassady
 
Interview Mayumi Matsumoto

Mayumi c’est ton vrai prénom et quelle est sa signification en japonais ?
Oui. Ma c’est la bonté, Yu la liberté et Mi c’est la beauté.

De quelle ville japonaise viens-tu ?

Je suis née à la campagne. Après l’université, je suis allée à Tokyo. Avant de venir en France, je suis restée trois ans à Tokyo.

Peux-tu me raconter les circonstances et les motivations de ton départ du Japon ?

Quand j’étais petite, je vivais à la campagne avec mes parents. Je viens d’une famille très conservatrice. Mes amis sont très conservateurs. Ils se marient à vingt-trois ans, ont des enfants. Moi, je n’aime pas du tout ce côté traditionnel, donc j’ai quitté ma famille pour aller à Tokyo. J’ai trouvé l’ambiance de Tokyo très superficielle. Je venais de la campagne et j’étais très perturbée. Je n’arrivais pas à établir des relations avec les gens.

Que faisais-tu au Japon avant de venir en France ?

Je travaillais comme attachée de presse dans le cinéma. J’ai découvert la culture française au festival du film français à Tokyo. J’ai été fascinée par cette culture. J’ai rencontré des Français et vu les films de Godard que j’aime beaucoup.

As-tu préparé ton départ pour la France ?

Pas du tout. A Tokyo, tout est très speed. Je me suis posé beaucoup de questions sur moi-même et ce que j’allais faire. Au bout d’un moment, je me suis dit : ça va pas ! je dois quitter tout ça. Mes parents ont dit non ! mais c’était trop tard, j’avais déjà pris l’avion et je suis venue en France.

T’es arrivée comme touriste ?

Oui, j’avais un visa de touriste. Mais avant de partir du Japon, je m’étais inscrite sur Internet dans une institution à Tours pour apprendre le français. J’étais hébergée dans une famille à Tours. Je suis arrivée directement à Tours du Japon. J’ai détesté. La famille chez qui j’étais était très traditionnelle. On me disait : tu dois rentrer tout de suite après l’école, ne va pas au café, ne bavarde pas avec tes amis. J’aime beaucoup danser. Pour m’échapper, j’ai pris des cours de salsa. La dame qui m’hébergeait m’a dit : tu es une mauvais fille ! (rires) J’étais déçue parce que je pensais que la France était plus libre, moins conservatrice que le Japon.

Comment s’est finie cette mésaventure à Tours ?

Au bout de trois mois, je suis partie à Nice. Je pensais que les gens seraient plus sympas parce qu’il y avait du soleil. J’ai continué à prendre des cours de français. J’ai trouvé plus de liberté à Nice.

Et l’arrivée à Paris ?

 En fait, je voulais faire une école de photo parce que quand j’ai quitté le Japon, comme je n’étais pas bien, j’ai pensé à la photo comme une façon d’exprimer mes sentiments. Ce n’était pas juste faire des images, mais plutôt une volonté exprimer des choses à travers la photo. Donc, je voulais maîtriser la technique, pour ça j’ai pris des cours au centre Iris à Paris. Là, j’ai commencé à faire beaucoup de photos en me mettant en scène.

Est-ce que tu connaissais des gens à Paris ?

Non, personne. J’ai trouvé un hébergement dans un centre, au Palais de la femme, rue de Charonne, à Bastille.

Combien de temps a duré ton apprentissage au centre Iris ?

Huit mois. J’ai donc pu faire de nombreux essais photographiques, des tirages au laboratoire. En faisant des autoportraits, je me suis posée la question de savoir ce que je ressentais. Je me suis concentrée sur moi-même, très égoïstement, avec l’appareil photo qui me regarde. Je communiquais avec lui, j’étais plongée en moi et me posait toujours la question : qu’est-ce que je sens ? pour nettoyer mon désir de fantaisies, de fantasmes. Je projette trop de désir et d’attente sur les gens que je rencontre. Mais il y a un décalage entre le rêve et la réalité. Grâce à l’appareil photo, je peux regarder mon désir et mes fantasmes.

Comment s’est passée ta rencontre avec ton galeriste Kamel Mennour ?

Je connaissais sa galerie mais pas lui personnellement. Je suis allée au festival de la photo à Arles. C’est mon directeur d’école qui se trouvait aussi à Arles qui a montré mon travail à Kamel. Ensuite Kamel m’a dit : « c’est génial ! on va travailler ensemble. » Quand je suis rentrée à Paris, je l’ai revu et il a exposé mes photos à la Fiac, à Paris Photo, puis dans sa galerie. Je ne pensais pas que ça allait se réaliser. J’ai confiance en lui.

Les photos de l’exposition correspondent à quelle période de ta vie ?

C’était pendant mon école. J’étais amoureuse de quelqu’un. Il y a quatre Actes dans l’exposition qui correspondent à des états amoureux sur une durée de huit mois. L’Acte, ça veut dire essayer de me regarder moi-même avec l’appareil photo comme dans un miroir pour exprimer mes sentiments du moment, ça peut être le désir, la solitude… Dans ces quatre Actes, il y a deux garçons.

As-tu photographié ces garçons ?

Non, ils ne voulaient pas. Alors, j’ai tourné l’appareil vers moi-même, comme ça j’ai pu m’échapper. 

Est-ce que tu te sens proche du travail d’autres autoportraitistes féminins comme Cindy Sherman ou Francesca Woodman ?  

Quelqu’un m’a dit que mes photos ressemblaient à celles de  Cindy Sherman, parce qu’elle aussi se met en scène. Avant, je n’aimais pas les photos de Cindy Sherman. Je trouvais ça dégueulasse. Puis j’ai compris le message qu’elle veut faire passer, sa critique de la société, son féminisme. Je la respecte beaucoup. Moi, je m’amuse avec mes mises en scène.

Que penses-tu de Nobuyoshi Araki ?

J’aime beaucoup, surtout ses grandes photos. A l’école, c’était très classique, dans le cadrage il ne fallait pas couper la tête, ni les bras, ni les jambes. Araki, il coupe comme il veut. Je n’aime pas les photographes qui mettent les gens bien dans le cadre.

Quel matériel utilises-tu ?

Un Nikon F 801 S et un pied. J’utilise de la diapositive 100 asa .

Tes photographies sont des véritables mises en scène avec un sens du cadrage toujours percutant. Comment se passe la préparation de la prise de vues ?
Je travaille avec un retardateur. J’appuie et je cours vite pour me mettre dans le cadre. J’aime beaucoup ça. C’est plus spontané qu’avec un déclencheur. Parfois, je vois des endroits et cinq mois après j’y retourne pour faire une photo. D’autres fois, je veux faire une photo et je n’ai pas d’endroits, alors je dois chercher un lieu.

Comment contrôles-tu l’image lors de la prise de vues ?
Je ne contrôle pas. Je ne vois pas l’image. C’est pour ça que certaines de mes photos sont floues. J’aime beaucoup le « par hasard », jouer avec les couleurs.

Ton travail est une autobiographique de tes sentiments,  une sorte de  journal intime mis en scène photographiquement.
Oui. Un ami japonais à qui je montrais mon travail au début m’a dit que ç’était comme le journal d’Anne Franck. Elle s’est cachée et a écrit un journal intime. Il m’a dit : « Mais elle est morte et toi tu es vivante ! alors qui va avoir envie de regarder ton journal intime ? » Mes photos sont des instants. Je veux que les gens se posent des questions en regardant mes images, qu’ils se demandent d’où ça vient. Le titre que je donne à la photo peut donner des idées. On peut imaginer.

Tu as choisi comme sujet photographique ton propre corps, souvent dénudé. Peux-tu m’expliquer ce choix ?
C’est vrai que quand j’ai regardé mon travail, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup d’autoportraits nus. Beaucoup de gens m’ont demandé : pourquoi il faut que tu sois nue ? Aujourd’hui, je fais moins de photos de nus, je me sens plus tranquille. Avant je pensais que le nu était érotique, alors que le corps habillé peut être aussi érotique que le corps dénudé.

Bien que tu sois le sujet principal de tes photos, on ne ressent pas de narcissisme à travers tes images. Penses-tu que cela vient de la distanciation que tu  crées avec la poésie et l’humour toujours présents dans ton travail ?
De temps en temps, des gens trouvent mon travail trop narcissique. Je le pensais aussi. Un jour, j’ai montré mon travail à une autre fille et elle m’a dit comprendre mes sentiments et se regarder à travers mes photos, qu’elle se reconnaissait elle-même parce qu’elle avait eu les mêmes sentiments que moi. Ce n’était pas seulement la photo de Mayumi, mais la photo d’elle-même. C’était très sympa, ça veut dire que mes photos ne sont pas narcissiques.

Est-ce que ton travail est connu au Japon ?
Non, pas du tout. J’ai juste envoyé quelques photos à des amis.

Et ta famille ?
Non, pas à ma famille. Ils ne savent pas, je ne leur ai rien dit. C’est pas le moment. Je veux continuer de travailler. Je fais moins de photos sur moi, je fais des mises en scène avec les autres, mes amis. Je veux aussi faire une vidéo. Après, je montrerai à mes parents. Ce que j’ai fait jusqu’à aujourd’hui, de Acte 1 à Acte 4, c’est comme un nettoyage de mes désirs.

Vis-tu aujourd’hui de ton travail d’artiste ?
Un peu. Kamel vend mes photos. Le magazine WAD m’a aussi contactée pour que je leur fasse des photos.

Quels sont tes projets ? et tes envies… ?
Je continue les autoportraits, mais beaucoup moins qu’avant. Des photos de mes amis aussi. L’année prochaine, je vais peut-être aller à l’école des Beaux-Arts de Cergy-Pontoise pour apprendre la vidéo.

Quel est le mot que tu préfères en français ?
Liberté.

Propos recueillis le 15 mars 2002 par Jean-Luc Bitton

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